En quoi les nouveaux référentiels scolaires invitent-ils à éduquer à l’environnement et au développement durable ? Les propositions éducatives portées par les associations doivent-elles coller à ces obligations propres à l’école ? Analyse.

L’école vit d’importantes réformes ces dernières années. La rentrée scolaire 2023 en a été une nouvelle illustration, avec la mise en place du tronc commun en 3^e et 4^e primaire (voir encadré ci-dessous) et, dans la foulée, les réformes de la formation initiale et de la formation continue des enseignant·es. 

En quoi les nouveaux référentiels scolaires (de la 1^re maternelle à la 3^e secondaire) invitent-ils les enseignant·es à éduquer à l’environnement et au développement durable ? Et quel est le rôle des associations face à ces obligations de l’école ? Ces questions étaient en fil rouge de la Journée associative de l’Accord de coopération en ErE DD ⁽¹⁾ organisée à Namur le 8 septembre dernier. Elle a réuni plus d’une nonantaine de personnes, issues des associations travaillant avec les écoles en Région bruxelloise et en Wallonie ⁽²⁾ ainsi que des personnes ressources de l’enseignement. 

Ce n’est pas la première Journée de l’Accord qui se consacre aux réformes de l’enseignement. La précédente, en 2022, permettait d’avoir une compréhension générale du système scolaire et de la mise en place du tronc commun ⁽³⁾. Une autre, en 2018, s’était focalisée sur les plans de pilotage ⁽⁴⁾. L’objectif est à chaque fois de comprendre le contexte dans lequel travaillent les enseignant·es, pour mieux dialoguer et collaborer avec elles et eux, en vue d’implémenter plus en profondeur l’ErE dans les écoles.

⁽¹⁾ L’Accord de coopération rassemble la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région bruxelloise et la Région wallonne en vue de promouvoir et développer l’éducation et la sensibilisation relatives à l’environnement, à la nature et au développement durable à l’école. En savoir plus ici. 

⁽²⁾ L’état des lieux 2022 du secteur de l’ErE en Belgique francophone montre la part considérable des activités du secteur ErE qui s’adressent à l’école. En savoir plus ici.

⁽³⁾ Retrouvez à ce sujet les traces de la Journée de l’Accord de Coopération 2022 dans l'Infor'IDée N°3/2022

⁽⁴⁾ Lire l’article relatif aux plans de pilotage.

Socles de compétences et tronc commun

Le référentiel des « Socles de compétences », qui a prévalu pendant une vingtaine d’années (depuis 1999), déclinait les compétences à acquérir depuis l’école maternelle jusqu’à la 2^e année du secondaire, en trois étapes (fin de la 2^e primaire, fin de la 6^e primaire, fin de la 2^e secondaire). Entretemps, la société et le monde ayant considérablement changé, les attentes relatives à l’école ont évolué. Les socles de compétences sont progressivement remplacés par les référentiels du tronc commun. Ces nouveaux référentiels couvrent les savoirs, savoir-faire et compétences qui sont à maîtriser par les élèves, de la 1^re maternelle à la 3^e secondaire, et sont déclinés année par année.

La Journée « ErE DD dans les référentiels scolaires »

Cette journée fut l’occasion de présenter  l’outil « ErE DD dans les référentiels scolaires », en cours de réalisation par le Réseau IDée (voir ci-dessous). Celui-ci analyse systématiquement les portes d’entrée pour l’ErE DD dans les nouveaux référentiels du tronc commun. Son originalité est de proposer des « continuums » thématiques et de décliner des pistes d’activités, année par année, pour chaque thématique. Outre cet outil, présenté lors de cette journée en l’état (il n’est pas encore finalisé), d’autres actualités ont fait l’objet de présentations, dont le « document thématique sur l’ErE DD dans les référentiels du tronc commun » réalisé par la FWB (voir encadré ci contre). 

La brochure thématique

Une brochure thématique intitulée « L’ErE DD au sein du tronc commun », réalisée par les services de l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, paraîtra en 2024 et fera le recensement de tous les attendus relatifs à l’ErE DD dans les référentiels, année par année, discipline par discipline. Sa réalisation, en parallèle de l’outil du Réseau IDée, a fait l’objet de concertations permettant la complémentarité entre les deux réalisations. 

L’outil « ErE DD dans les référentiels scolaires » 

L’outil « ErE DD dans les référentiels scolaires » est le résultat d’une analyse des portes d’entrée pour  l’Education relative à l’Environnement et au Développement Durable (ErE DD) tout au long des référentiels du tronc commun, de la maternelle à la troisième secondaire. Il est destiné aux enseignant·es, aux associations d’ErE DD et aux acteurs de la formation.

Pour présenter ces nombreuses portes d’entrées, des continuums thématiques ont été conçus pour mettre en évidence comment chacune de ces thématiques peut être abordée tout au long du cursus scolaire, sous des angles différents et à travers différentes disciplines. Les thématiques sont larges mais pas exhaustives : alimentation ; climat ; cultiver avec ou sans potager ; déchets, consommation et ressources ; eau ; énergie ; nature et biodiversité. D’autres thématiques pourraient être développées dans le futur, comme l’air, les paysages, la mobilité…

Pour chaque thématique, des pistes d’activités à mener au fil des années et à travers différentes disciplines sont proposées, avec des ressources pour aller plus loin. Nous ne sommes pas entrés dans les détails des séquences d’apprentissage, qui sont laissées à l’expertise de l’enseignant·e. Ces idées d’activités ont été alimentées lors de réunions thématiques avec des associations travaillant avec les écoles et relues par des enseignant·es.

Une partie de l'outil (avec les fiches maternelles et primaires) sera disponible dès la fin du mois de janvier 2024. La version complète (avec les fiches pour le secondaire) le sera mi-mars. 

Sa réalisation s’inscrit dans un projet plus large « ErE et référentiels » porté par Ecotopie, avec la collaboration du Réseau IDée, et financé par le plan de relance de la Wallonie, avec le soutien de Bruxelles Environnement.

Pourquoi l’acronyme
« ErE DD »  ?

Concernant l’intitulé de cet outil, nous avons fait le choix de l’aligner sur la terminologie adoptée dans les référentiels scolaires ainsi que dans la « brochure thématique » (lire ci-dessus), qui font largement référence au développement durable (DD). Bien que ce choix ne corresponde pas au positionnement adopté par l’AG du Réseau IDée, qui considère que le terme ErE couvre toutes les approches (dont le DD, mais aussi d’autres), nous avons préféré opter pour cette appellation institutionnelle. 

Quelles portes d’entrées pour l’ErE DD dans les nouveaux référentiels du tronc commun ?

Il ressort de l’analyse des référentiels du tronc commun que des contenus relatifs à l’environnement et au Développement Durable sont présents de manière explicite dans les disciplines de Sciences, sciences humaines (FHGES : Formation Historique Géographique, Économique et Sociale), ainsi que dans la nouvelle Formation Manuelle Technique Technologique et Numérique (FMTTN) et en Éducation à la Philosophie et à la Citoyenneté (EPC). On trouve également des portes d’entrée dans la plupart des autres disciplines, comme les maths, le français, l’Éducation Culturelle et Artistique (ECA) ou encore en Éducation Physique & à la Santé (EP&S), mais de manière non explicite. 

Pour ne prendre qu’un exemple : l’alimentation

L'alimentation est abordée de manière explicite en Sciences et en FMTTN. Le référentiel d’FMTTN invite de manière concrète à réaliser des plats en 2^e, 4^e, 6^e primaire et 3^e secondaire, en aiguisant, au fil de la scolarisation, un regard critique sur les ingrédients utilisés et en développant l’autonomie et le travail collaboratif. Ce même référentiel invite à expérimenter progressivement des techniques de culture, en alternance avec la réalisation des plats, en 3^e, 5^e primaire et 3^e secondaire (voir ci-contre et ci-dessous).

En outre, en FHGES, on abordera tout au long du tronc commun des notions relatives à la consommation (choix de consommation, déterminants de la consommation, modes de consommation, effets de la consommation sur la société, pratiques de consommation alternatives...) dans une perspective de citoyen·ne responsable (voir ci-dessous).

Le tronc commun invite au décloisonnement

Ainsi, tous les référentiels suggèrent des « croisements entre disciplines » tandis que des domaines de « visées transversales » (voir encadré ci-contre) invitent à sortir des champs purement disciplinaires. Ces deux « nouveautés » offrent des opportunités pour amener la transversalité et l’interdisciplinarité propres à l’ErE DD. Reste à voir comment elles seront concrètement mises en œuvre dans les pratiques et évaluations scolaires.

Exemple de visées transversales

Par exemple, en 3^e primaire, en Sciences, il est demandé de mettre en évidence des impacts de notre mode de vie sur la gestion de l’eau et d’énoncer des gestes et des actions permettant de préserver les ressources en eau. En EPC, il s’agira de s’informer pour questionner l’impact de ses gestes quotidiens. 

Parmi les nombreux exemples identifiés dans les visées transversales, citons la découverte de milieux professionnels liés à environnement (Sciences, S1) ou encore l’identification des impacts économiques, sociaux et environnementaux de différents modes de production et de consommation (FHGES, Sciences, P6).

Les visées transversales :

• se connaître et s’ouvrir aux autres ;
• apprendre à apprendre ;
• développer une pensée critique et complexe ;
• développer la créativité et l’esprit d’entreprendre ;
• découvrir le monde scolaire, la diversité des filières et des options qui s’ouvrent après le tronc commun et mieux connaître le monde des activités professionnelles ;
• développer des projets personnels et professionnels : anticiper et poser des choix.

Vers des continuums thématiques 

Malgré la présence de ces portes d’entrée pour l’ErE DD dans les référentiels, celles-ci apparaissent de manière (plus ou moins) morcelée à travers les disciplines et les années. Pour apporter une vision plus cohérente, il a été choisi de les présenter dans l’outil du Réseau IDée sous forme de « continuums » thématiques. 

Cette proposition de « continuums » vise plusieurs objectifs. Tout d’abord, il s’agit d’aider les enseignant·es à repérer les opportunités pour aborder telle ou telle thématique en fonction de leur « programme ». De tels continuums peuvent aussi rassembler toute une équipe éducative autour d’une thématique. Par ailleurs, nous espérons que l’approche par continuum pourra contribuer à rendre plus lisible et effectif, pour les élèves comme pour les enseignant·es, un parcours d’éducation relative à l’environnement tout au long du cursus scolaire. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, comme le révèlent les consultations menées par le Forum des Jeunes auprès de jeunes de 16 à 30 ans. Pour 74% de répondant·es, les thématiques liées à l’environnement n’ont pas suffisamment (60%) ou pas du tout (14%) été abordées dans leur parcours scolaire.⁽⁵⁾

Enfin, ce travail fastidieux de décryptage des référentiels, et encore davantage cette vision d’ensemble par thématique au sein des continuums, permettra aux associations de mettre en perspective leur offre aux écoles au regard des thématiques et des attendus (savoirs, savoirs faire et compétences), en vue de l’adapter si nécessaire. Il pourra, par ailleurs, leur apporter quelques points de repère sur le développement de l’enfant à travers des domaines d’apprentissage tels que la langue maternelle, les mathématiques ou l’éducation physique. 

⁽⁵⁾ Avis officiel du Forum des Jeunes : « L’éducation en question, quelle place pour l’environnement ? »

Jusqu’où coller aux référentiels ?

Le besoin de découvrir les nouveaux référentiels et les programmes ne fait aucun doute pour les animateurs et animatrices. Il s’avère bien nécessaire de prendre conscience de la réalité du terrain des enseignant·es pour collaborer au mieux avec eux et elles. Néanmoins, lors de la présentation, plusieurs animateurs et animatrices en l’ErE se sont inquiété·es de la logique fort disciplinaire qui semble encore prédominer et se sont interrogé·es sur leur apport en tant que professionnel·les de l’ErE. Jusqu’où faut-il coller aux contenus ? Quelles sont les matières et compétences pour lesquelles les profs se sentent plus démuni·es ? Quelles complémentarités entre les professionnel·les de l’animation et ceux de l’école ? Comment impliquer (ou non) les enseignant·es dans les activités d’ErE proposées ? Qui prend en charge les émotions associées aux thématiques environnementales ? Et comment ? 

Des pistes de réponse ont été partagées. « Il s’agit de trouver le subtil équilibre entre répondre au programme scolaire pour aider les enseignants dans leur pratique et le fait de garder notre spécificité », résume bien l’une des participantes. Il ne s’agit pas de « faire à leur place ». « Etre fidèle à notre philosophie et nos valeurs », précise encore un autre, « et aborder les sujets sociétaux qui préoccupent le secteur ». Parmi ces spécificités de l’ErE citées lors de la journée : le « terrain », l’émerveillement, la connexion à la nature, la sensibilité, le sensoriel, la complexité, la multidisciplinarité, l’esprit critique, le ludique… 

Les participant·es ont, par ailleurs, pris conscience de la charge que cette réforme représente pour les enseignant·es et du manque de disponibilité qui en résulte.

Une conscientisation politique et institutionnelle

Les exposés de la matinée et l’ensemble des échanges au cours de la journée ont aussi permis aux participant·es de mieux appréhender le contexte institutionnel dans lequel s’inscrivent les récentes (et futures) réformes de l’enseignement : la mise en œuvre progressive du tronc commun ; l’allongement dès cette année scolaire de la formation initiale (RFIE) et la réforme de la formation continue ; ainsi que la future réécriture des référentiels du secondaire supérieur (post-tronc commun). « Je me sens davantage concernée par rapport à ce qui se joue au niveau du Pacte d'Excellence, exprime une participante en fin de journée, mon besoin de répandre l'ErE, un maximum, dans les écoles est renforcé. La frustration est également présente quant au fait que les enjeux liés à l'avenir de la planète semblent peu voire pas du tout intégrés dans les référentiels scolaires. Je soutiens pleinement la Charte des enseignants ⁽⁶⁾! » « Il faut oser exiger de rendre obligatoire l'ErE, poursuit une autre participante, d'une façon ou d'une autre (au même titre que l'EVRAS, le latin, le PECA...), sachant que le changement culturel au niveau de l'environnement est l'enjeu du siècle, dont dépend notre avenir à tous. »   

Parmi d’autres considérations et questions, citons encore : « Comment influer sur la réforme de la formation initiale des profs ? Comment le système scolaire va-t-il évoluer alors que les enjeux, climatiques notamment, évoluent plus vite que le système scolaire ? », « Comment passer de la sensibilisation à la mobilisation des écoles ? »... 

Le travail de lobbying, on le voit, est crucial et la conscientisation de tout le secteur est un atout. L'enjeu, à court terme, pour le secteur de l’ErE, est d’être invité officiellement comme expert lors de la rédaction des référentiels post-tronc commun (trois dernières années du secondaire), et d'avoir les moyens humains de s'y investir. Les démarches sont en cours auprès des instances concernées.

⁽⁶⁾ Charte pour un enseignement à la hauteur de l’urgence écologique

Un outil et puis ?

On le voit, réaliser cet outil « ErE DD dans les référentiels scolaires » s’inscrit dans un processus qui va au-delà de propositions pédagogiques. Dès le départ, les démarches d’analyse des référentiels, la conception des continuums, les rencontres avec des associations et des enseignant·es ont été porteuses d’apprentissages collectifs, d’échanges, de réflexions communes.

Viendra ensuite le travail de diffusion lors de la sortie de l’outil, prévue fin janvier (pour les maternelle et primaire et mi-mars pour les trois premières années du secondaire). En parallèle, des dispositifs de formation, en lien avec l’outil, vont se déployer. Une communauté de pratiques ⁽⁷⁾ vient ainsi d’être lancée par Ecotopie, en collaboration avec le Réseau IDée, afin de faciliter l’introduction de l’ErE DD dans les catalogues de formation continue des enseignant·es, et de poursuivre les réflexions sur la posture des associations à l’école. 

Un groupe de travail sera mis en place pour renforcer la place de l’ErE DD dans la formation initiale. Il pourra s'appuyer notamment sur l’enquête déjà réalisée en 2015 ⁽⁸⁾. Enfin, ce principe de continuum ErE DD s’inscrira dans notre travail de lobbying auprès des institutions scolaires.

L’enseignement est une grosse machine, les évolutions y sont lentes. Les démarches menées ces dernières années et le contexte peut-être aidant semblent montrer des ouvertures.

Vous l’aurez compris, la réflexion ne s’arrête pas là, d’autres Journées, temps de réflexion et actions vont être menées pour que l’ErE DD devienne de plus en plus tangible à l’école !

⁽⁷⁾ Lire C’est quoi une communauté de pratiques ? 

⁽⁸⁾ Lire L’ErE DD dans les Hautes Ecoles pédagogiques

Joëlle van den Berg

Réalisation : Céline Grandjean
Contacts outil : Natacha Sensique - Vanessa Rasquinet

Retrouvez les traces de la Journée : www.reseau-idee.be/fr/journee-accord-cooperation/2023